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Corruption et Journalisme : les journalistes parlent d’eux.

Balayer d’abord notre véranda

Arnaques, règlements de comptes, flatteries, yeux doux, chantages…, le phénomène de la corruption a atteint sans conteste les médias centrafricains, qui foulent souvent au pied le principe de l’information objective.



Les journalistes Centrafricains sont-ils corrompus ?
Les résultats provisoires de l’enquête sur la corruption auprès des entreprises publiés, fin 2005, par Transparency International et la Représentation du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) ont révélé que plus de 50% des entrepreneurs affirment que les médias centrafricains sont affectés par la corruption.

La corruption dans les médias respecte les formes classiques de la corruption. Elle va de la corruption passive à la corruption active et revêt diverses formes : soigner l’image, articles alimentaires, frais de transport, facilités de transport.

D’après Jean-Baptiste Koyassambia, expert en matière de lutte contre la corruption, « ce sont des actes de concussion et de racket devenus la règle » qui permettent aux journalistes, tant du secteur privé que du secteur public de contourner un des problèmes majeurs liés à leur profession : le très bas niveau de salaire.

Pourquoi les journalistes sont-ils corrompus ?

A cette question, plusieurs causes sont énumérées. « Ils sont très mal payés, à cela s’ajoutent des arriérées qui font qu’ils se paupérisent, le manque de formation et la non maîtrise de l’éthique professionnelle », résume Emmanuel Piama, journaliste à Télé Centrafrique. Pour M. Tikoisset, étudiant en droit qui fait des recherches sur la corruption, « les conditions de plus en plus dégradantes du tissu social et économique ont conduit les hommes des médias centrafricains à se jeter sans vergogne dans cette basse besogne ».
Sur la centaine de titres plus ou moins réguliers de la presse privée et indépendante qui paraît à Bangui, seuls Le Citoyen et Le Confident versent régulièrement un salaire mensuel qui ne dépasse guère 60 000 F Cfa à leurs journalistes. Les autres organes de presse rémunèrent leurs journalistes sous forme de piges allant de 1 000 à 2 000 F Cfa par article publié dans leurs colonnes. Les journalistes recrutés comme pigistes à la Radio et à la Télévision nationale, médias d’Etat, gagnent un salaire mensuel irrégulier de 25 000 F CFA. Ils traînent derrière eux plusieurs mois d’arriérés de salaire, à l’instar de leurs collègues fonctionnaires. Les journalistes pigistes des médias d’Etat n’émargent pas sur le budget de l’Etat. Leurs salaires proviennent des menues recettes générées par la publicité et les redevances payées au ministère de la Communication. « Les recettes sont tellement dérisoires qu’on est dans l’impossibilité pour le moment de revoir à la hausse leurs piges ou leur assurer un salaire régulier », se lamente un cadre financier du ministère de la Communication avant de proposer comme solution l’intégration par l’Etat de tous ces journalistes pigistes.

« Nous payons mal nos journalistes parce qu’une entreprise de presse en Centrafrique ne fait pas de bénéfices. C’est le maintien que nous faisons », justifie M. Guy Saint Clair Denguem, Directeur administratif et financier au journal Le Confident. « Les publicités tombent à compte-goutte et c’est l’annonceur qui impose la plupart du temps ses tarifs, à cela s’ajoute la mévente. Nous vendons moins de 500 exemplaires par jour », explique-t-il pour justifier une demande de « subvention de la part de l’Etat ».

Pour M. Michel Alkhaly Ngady, directeur de publication de l’hebdomadaire Temps Nouveaux et président du Groupement des éditeurs de presse privée et indépendante de Centrafrique (Geppic), « la survie de la presse privée passe obligatoirement par une subvention du gouvernement, à l’instar d’autres pays comme le Cameroun, le Gabon ».

La dernière loi sur la liberté de la communication prévoit un financement des organes de presse privée. Mais, les problèmes économiques du pays ne permettent pas de mettre en application cette loi.

L’autre facteur important lié à la corruption est le manque de formation adéquate aux principes du métier. En l’absence d’une école de formation aux métiers de l’information, la plupart de ceux qui ont choisi le journalisme en Centrafrique sont formés sur le tas. « Le journalisme en Centrafrique, c’est le métier qui reste lorsqu’on a fouillé partout en vain», a ironisé Joseph Bendounga, le leader d’un parti d’opposition lors d’un point de presse. « On ne s’improvise pas journaliste », avait rappelé Raphaël Kopessoua, un professionnel de la communication, à l’occasion d’une session de formation aux journalistes de l’Agence Centrafrique Presse. Même parmi les quelques rares qui ont suivi une formation de base ou de pointe, le non respect du principe sacro-saint du métier pour des raisons économiques ou politiques a conduit au délitement des valeurs morales et sociales -perte de la notion de la déontologie-.

Cette dégradation des conditions de travail et de vie de ces hommes des médias les a rendus de plus en plus vulnérables. Aujourd’hui, on ne parle plus de journaliste au sens propre du terme, mais de journaleux ou de journaliste Gombo.

Articles alimentaires
Généralement sous forme d’interviews ou de reportages, les articles alimentaires sont un moyen pour le journaliste de joindre les deux bouts », avance M. Guy Saint Clair Denguem. Les articles alimentaires qui sont un profit privé font concurrence avec les publi-reportages.
A quoi ressemblent-ils, sur le fond et la forme ? Alain Patrick Mamadou, sociologue de formation et journaliste, donne la recette : « pour réussir un bon article qui rapporte, il faut cibler l’interviewé qui devrait être quelqu’un qui aime bien faire sa publicité. Après, vous lui soumettez un protocole d’interview qui l’arrange, c'est-à-dire qui peut l’élever et détruire ses détracteurs –surtout si c’est un ministre ou un leader politique-. »

Cependant, Alain Patrick Mamadou indexe aussi les organisations internationales qui « font des yeux doux aux journalistes » pendant les manifestations qu’elles organisent. « Repas copieux par-ci, frais de transport -2500 F- par là », et pour finir, « la rédaction des articles est orientée.», conclut-il. De nos jours, il est difficile de voir un journaliste écrire un article de presse critique à l’endroit des représentations du système des Nations Unies en Centrafrique. Il faut soigner l’image du partenaire privilégié.

L’enveloppe nationale de 2500 F

Généralement appelée facilités de transport ou frais de transport, cette pratique qui « n’est codifiée ni inscrite quelque part est rentrée dans les mœurs », note Pierre Debato 2, président de l’Observatoire centrafricain des médias (Omca). Cette forme de corruption qui est devenue une culture est apparue sous une forme bénigne à une époque où la Radio et la Télévision nationales éprouvaient des difficultés de transport. Il a été suggéré à ceux qui sollicitent les couvertures médiatiques de mettre à la disposition des reporters un moyen de transport pour faciliter leur déplacement sur les lieux de reportage. « Le comble est qu’aujourd’hui, même lorsqu’on a un véhicule à la disposition de ces reporters, ils revendiquent à cor et à cri leur 2500 F CFA », regrette Pierre Debato 2.

Ainsi, si ces frais et facilités de transport ne sont pas respectés, les reporters ne passent pas l’élément. « J’étais à un reportage à Gobongo, le responsable de l’Ong a refusé de nous verser nos frais de transport, alors, très énervé, je n’ai pas passé l’élément aux journaux de 18h en sango et de 19h en français. Je l’ai sucré. Le lendemain aussi, l’élément n’est pas passé au bulletin du petit matin. Il m’a appelé, et après arrangement au téléphone, il est passé à la radio et nous a remis un billet de 5000 F Cfa pour mon technicien et moi. Ainsi, son reportage est passé au journal parlé de 13h », a confié un journaliste de Radio Centrafrique.

Pour ce journaliste, le comportement affiché envers le responsable d’Ong est justifié car « Les facilités de transport sont un droit pour nous parce qu’elles sont inclues dans le budget de ces manifestations ».

Les reporters de la presse privée indépendante sont encore plus virulents quant à la revendication de leurs « dus ».

Face à ce comportement qualifié de « dénigrant » pour la profession par M. Maka Gbossokoto, président de l’Union des journalistes de Centrafrique (l’Ujca), cette association avait pris une sévère sanction à l’encontre de quatre journalistes qui s’étaient montrés à plusieurs reprises irrévérencieux et discourtois à l’égard d’organisateurs des séminaires et autres manifestations. Il a été fait interdiction aux quatre confrères de fréquenter les lieux des séminaires et autres points de presse… jusqu’à nouvel ordre.

Articles sponsorisés

Les hommes politiques ou des cadres en difficulté achètent des colonnes dans certains journaux pour régler des comptes à leurs prochains. « Ces pratiques sont monnaie courante dans certains organes de presse », a décrié le ministre Parfait Mbay, ancien ministre de la Communication, lors d’un point de presse. « A ce stade, le journaliste manipulé perd son indépendance et c’est le métier qui périt », a-t-il regretté.


Conséquences désastreuses

« Si nous ne faisons par violence contre nous-mêmes pour bannir définitivement la pratique du journalisme gombo, nous perdrons définitivement la face devant nos partenaires qui sont le lecteur, l’auditeur et aussi les pouvoirs publics », déclare Dédé Nambéaré, journaliste à radio Centrafrique.

Éradiquer le fléau

Il faut corriger les causes, propose Emmanuel Piama. Et cela passe « d’abord par la formation au métier », avance le doyen des juges, Alain Tolmo. Quant à M. Denguem, il estime qu’il n’y a pas de solution concrète. « La conscience professionnelle doit dominer toute passion. L’intégrité morale aussi », conseille t-il avant d’ajouter que « ce n’est pas parce qu’on vit dans la misère qu’on doit accepter les dessous de table ». Toutefois, M. Joseph Benamse, correspondant de la BBC et de l’agence de presse Irin, encourage les journalistes centrafricains à s’ouvrir vers l’extérieur. « Ils doivent trouver des petits boulots comme correspondants de presse internationale afin de joindre les deux bouts », suggère t-il.

Partenaire vital

« Les médias représentent pour nous un partenaire vital dans notre action de promotion de la gouvernance, de lutte contre la corruption et de réduction de la pauvreté », a déclaré M. Dani Kaufman, directeur des Programmes mondiaux et de la gouvernance à l’Institut de la Banque mondiale.

Au vu de l’importance qu’on donne aux médias en tant que l’un des maillons du système national d’intégrité (SNI), la presse doit jouer le rôle du chien de garde.

Munie des éléments examinés, il apparaît urgent que la République Centrafricaine étudie une stratégie nationale originale pour juguler ce fléau qui risque, à terme, de l’entraîner dans une voie sans issue », a conclu M. Koyassambia.

Samedi 9 Décembre 2006
Yaka Maïde/Acap

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