Un bilan sombre dans le secteur de l’élevage en République Centrafricaine d’après le Ministre Joseph Bendounga

Depuis le 24 mars 2013, de nombreux changements sont intervenus en République Centrafricaine. Presque tous les secteurs ont été impactés. Le Ministre de l’Elevage et des Industries animales, M. Joseph Bendounga débat de ce qui concerne son département, à savoir : le secteur de l’élevage, les deux abattoirs de Bangui, le marché à bétail du PK. 13 et du PK. 45 Route de Boali. Voici l’intégralité de l’interview du membre du gouvernement.



Un bilan sombre dans le secteur de l’élevage en République Centrafricaine d’après le Ministre Joseph Bendounga
Monsieur le Ministre de l’Elevage et des Industries animales, Bonjour !
Bonjour Monsieur le Journaliste.
Monsieur le Ministre, quel est l’état des lieux dans le secteur de l’élevage depuis que vous êtes au gouvernement ?
Vous conviendrez avec moi que l’élevage, avec l’agriculture, constituent les deux mamelles de l’économie nationale. Et pour l’heure, ces deux secteurs sont très sinistrés. En conséquence, la famine est en train de s’installer d’une manière méticuleuse au sein de la population centrafricaine. Si nous n’y prenons pas garde, après les catastrophes militaro-politiques, ce sera la famine.
Effectivement, à la suite de tout ce que le pays a connu, les faiblesses sont telles que, les premières impressions révèlent que vos attributions ne s’arrêtent-elles qu’au niveau de votre cabinet. C’est cela ?
Il n’y a pas que le département dont j’ai la charge qui est concerné par cette triste réalité en dépit des efforts que j’ai déployés, en frappant à presque toutes les portes. Tous les départements ministériels de la République Centrafricaine sont concernés, au point qu’au niveau des finances, presque toutes les recettes publiques sont actuellement perçues dans leurs quasi-totalités par les chefs militaires de la Séléka.
Certaines rumeurs font état de ce que les associations professionnelles du secteur de l’Elevage sont totalement entre les mains des opérateurs étrangers. Vous confirmez cela ?
Il existe pour l’heure six associations des commerçants à bétail intégralement contrôlées par des colonels de la rébellion Séléka qui sont tous des ressortissants tchadiens arabophones. Vous comprendrez que par la volonté de la baïonnette, le secteur de l’élevage aujourd’hui est devenue la chasse-gardée des Tchadiens.
Y a-t-il une issue pour « centrafricaniser » les associations ?
Le gouvernement est conscient de l’ampleur de cette mainmise des étrangers sur le secteur de l’élevage. Et au cours des deux conseils de cabinet, le gouvernement a pris des mesures radicales. L’impact sera perceptible dans les prochaines semaines.
Le marché à bétail du PK 13 naguère fermé à rouvert ses portes au galop dès le changement du 24 mars 2013. Bien entendu avec beaucoup de conséquences. Qu’en dites-vous.
Pour la petite histoire, le marché à bétail était à Nzangognan, dans le 6ème Arrondissement de Bangui. La zone était pratiquement forestière. Pour y accéder, il fallait traverser un cimetière puis un ruisseau. Petit à petit, la pression démographique a permis aux villes de Bangui et de Bimbo de faire une jonction. C’est alors que les uns et les autres ont convenu d’arrêter de parquer les bœufs au marché à bétail de Nzangognan et de le délocaliser vers le marché à bétail du PK. 13, qui, en ce temps-là, était également une zone de forêt. Le transfert du marché à bétail du PK. 13 à Bouboui PK. 46 route de Boali et donc salutaire.
Lorsque j’avais pris mes fonctions en qualité de Ministre de l’Elevage et des Industries animales, j’ai discuté avec les associations socioprofessionnelles du secteur bétail. Les responsables de ces associations sont d’accords pour que le marché à bétail de Bouboui demeure, à condition que le gouvernement viabilise le site. J’avais pris l’engagement ferme qu’au bout de six mois, je devrais créer les conditions de sécurité tant sur le plan du transport que sur le plan de l’équipement du site. Seulement, le changement politique du 24 mars 2013 a fait prendre des coups aux projets.
Le marché à bétail illégale du PK. 13 a rouvert ses portes, avec la complicité de quelques éléments de la Séléka qui le gèrent directement. Mais dès que les conditions de sécurité seront réunies, le marché à bétail devra reprendre sa place au PK. 46 à Bouboui route de Boali.
Insister pour que le marché à bétail reste au PK 46 route de Boali signifie qu’il faut disposer des véhicules bétaillères. Or, il semble que ces engins sont tous séquestrés. Est-ce cela ?
J’ai plusieurs fois fais l’objet de menace et de pression de la part d’un colonel de la Séléka, devenu pour l’instant général de l’armée centrafricaine. Devant une telle situation, préjudiciable au secteur de l’élevage, à la sécurité du transport des bétails et à l’économie, je me suis rapproché du commandant en chef de la Force Multinationale de l’Afrique Centrale (FOMAC) basée à M’Poko pour que ces bétaillères soient sous protection dans leur base militaire. Mais le général de la Séléka qui est à mes trousses et qui est l’un des pivots de la conquête de Bangui a usé de tout ce qui était à son pouvoir pour continuer à se servir de ces véhicules à sa guise. Toutes mes interventions alors auprès de mes supérieures hiérarchiques, le Premier ministre et le Chef de l’Etat de la Transition, ont échoué.
Pour le moment, le gouvernement vient de mettre en place une stratégie de sécurisation de la ville de Bangui. Dès que les conditions de sécurité seront réunies, je vais renouer le dialogue avec les opérateurs du secteur bétail pour relancer sainement les activités.
Que dites-vous de l’abattoir de Ngola et de l’abattoir frigorifique de Bangui ?
L’abattoir de Ngola avait été créé pour venir à la rescousse de l’abattoir frigorifique de Bangui, mais pas avec l’intention de permettre la desserte des marchés de Bangui et Bimbo en viande de boucherie. Pour le moment, l’abattoir de Ngola ne répond plus aux normes vétérinaires. L’eau du torrent Ngola dans laquelle sont trempées les carcasses est impropre à la consommation. Des cadavres des animaux morts, sans compter des déchets humains et des détergents sont déversés dans ce ruisseau et participent à contaminer et polluer l’eau de Ngola. Autrement dit, l’abattoir de Ngola a été fermé pour raison d’hygiène et de salubrité publique. Et cela est normal. Seulement, cet abattoir a été rouvert par quelques éléments de la Séléka, qui la gèrent directement, en y prélevant les taxes d’abattage.
Pour ce qui est de l’abattoir frigorifique de Bangui, il a cessé d’être opérationnel avec les derniers évènements. Ses équipements ont fait l’objet de pillage et de vandalisme. Le site est même annexé par quelques éléments de la Séléka.
Il a été décrié la recrudescence de l’abattage clandestin autour de l’ancien abattoir de Ngola, dans les alentours de l’aéroport Bangui M’Poko et au quartier Damala, et le transport de la viande de boucherie à l’aide des pousse-pousse. Quelle explication donnez-vous à cela ?
Le marché à bétail de Bouboui est ramené au PK. 13, route de Boali. Les abattages sont effectivement anarchiques dans les endroits que vous avez cités. C’est dire que la viande de boucherie que les Centrafricains consomment est impropre à la consommation du fait que cette viande est souillée à plusieurs niveaux, d’abord à cause de l’eau de Ngola, ensuite le transport qui ne requiert même pas les conditions minimales de sécurité à l’aide de pousse-pousse ou de motocyclette. Au-delà de tout, les techniciens de l’élevage que sont les vétérinaires n’inspectent jamais les carcasses.
Il semble également que les recettes au marché à bétail du PK. 13 ainsi que les taxes d’abattage vont directement dans les poches des éléments armés de la Séléka.
Aujourd’hui, ce sont les responsables de la Séléka qui organisent la collecte des droits et taxes que doivent percevoir l’Agence Nationale de Développement de l’Elevage (ANDE), la Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains (FNEC), l’abattoir frigorifique de Bangui, et les taxes destinées aux autres structures qui opèrent dans ce domaine.
Ce sont des pertes pour la caisse de l’Etat ?
C’est comme tout ce qui provient de la Douane et des impôts qui est détourné. Cette situation est catastrophique pour le Trésor public. Si les recettes propres de la République Centrafricaine rentraient normalement au Trésor public, on ne connaitrait pas les arriérés de salaire. L’aide extérieure viendrait seulement pour booster l’économie du pays.
Tout dernièrement à Bouar dans la Préfecture de la Nana Mambéré, un de vos collaborateurs avait été séquestré contre une rançon. Pourquoi ?
Ce collaborateur et bien d’autres collaborateurs de Bouar ont connu des moments très difficiles. Ils étaient enlevés par des éléments de la Séléka pendant quatre jours et contraints à leur verser les recettes collectées. J’ai décrié cette triste situation. Nous avons pris des mesures, et au jour d’aujourd’hui, les réactions négatives en provenance de Bouar ont cessé.
Au-delà de tout ce qui est décrié, quelles sont les solutions durables que vous pourriez préconiser ?
Un membre du gouvernement n’a pas que des vœux mais également des actions à mener. En ma qualité de membre du gouvernement, moi et mes collègues, au cours d’un conseil des ministres, nous avons mis un accent particulier sur la sécurité. Au niveau du Président de la République, des mesures ont été prises. Au niveau du conseil des Ministres, des propositions ont complété ces mesures. Dans les jours à venir, les forces de défenses et de sécurité, constituées des éléments de la gendarmerie et de la police seront déployés sur le terrain. Le cantonnement des éléments de la Séléka sera une réalité. Lorsque la paix reviendra de façon définitive, j’aurai les mains libres pour asseoir la politique du développement de l’élevage.
Pour l’instant, le projet qui me tient à cœur est celui de l’aviculture. Il est question, avec quelques coquelets, provoquer le métissage des espèces et améliorer la qualité de la volaille dans le pays. Il s’agit, en fin de compte, de tout faire pour fournir à la population centrafricaine de la protéine. Au bout du fil, l’aviculture pourrait venir à la rescousse du gros bétail.
Monsieur le Ministre, je vous remercie.

Mercredi 10 Juillet 2013
Alain Patrik Mamadou/ACAP