L'ancien Premier-ministre Nicolas Tiangaye commente l'actualité en Centrafrique

L'actualité de ce début d'année 2018 est marquée, en République Centrafricaine, par une sévère mise en garde de la conférence épiscopale à l'endroit de tous les citoyens et par une session criminelle aux allures de répétition générale pour la Cour pénale spéciale (CPS), qui se met en place lentement mais sûrement.
Pour analyser tous ces évènements, la rédaction de l'ACAP a invité Maître Nicolas Tiangaye, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, ancien Premier-ministre et président de la Convention Républicaine pour le Progrès Social (CRPS). Il livre ses impressions au micro de Christian Singa.



Maître Nicolas Tiangaye répondant aux questions de l'ACAP
Maître Nicolas Tiangaye répondant aux questions de l'ACAP
Agence Centrafrique Presse (ACAP) : Maître Nicolas Tiangaye, bonjour et bonne année à vous.
 
Nicolas Tiangaye (NT) : Merci. Bonne et heureuse année à vous et à tous ceux qui vous sont proches.
 
ACAP : A titre personnel et en tant que leader d’un parti politique, comment se présente, selon vous, l’année 2018 pour la République Centrafricaine ?
 
NT : L'année 2017 a été très difficile. Pour l'année 2018, mon souhait est de voir la paix revenir dans le pays. Et pour cela, je souhaite que toutes les forces vives de la nation conjuguent leurs efforts vers un objectif commun, faire en sorte que la paix revienne et que la stabilisation de notre pays devienne une réalité.
 
ACAP : A l'issue de sa première session de l'année 2018, la conférence épiscopale a interpellé les Centrafricains sur un certain nombre de questions. Quelle est votre réaction au message des évêques ?
 
NT : Je voudrais, avant toute chose, rendre hommage aux évêques, aux religieux qui font un travail inestimable pour la paix en RCA. La plateforme des confessions religieuses, pendant toute la crise, a beaucoup travaillé et continue de travailler pour la réconciliation nationale, pour la cohésion sociale.
 
Je n'ai pas de jugement de valeur à formuler sur la position des évêques au cas où ils interpellent la conscience de tout le peuple centrafricain. Cela cadre avec leur mission évangélique. Il faudrait qu’il y ait un éveil des esprits. Chacun de nous est interpellé, car personne ne peut dire qu’il est indifférent ou qu'il n'est pas responsable de ce qui se passe dans ce pays. Nous sommes tous responsables et nous devons être tous responsables de ce que je considère comme la résurrection de ce pays.
 
ACAP : Dans leur message, les évêques ont fait observer notamment une absence de dialogue entre le pouvoir et l'opposition et la disparition des partis politiques après les élections !
 
NT : Les partis politiques existent. Il y en a qui se réclament de la majorité présidentielle et d’autres de l’opposition démocratique. Les évêques ont raison dès lors que l'attente de la population n'est pas satisfaite concernant la présence des partis politiques sur la scène politique.
 
Il y a des partis qui s'expriment par le biais des conférences de presse, des points de presse et des déclarations dans les médias. Il y en a d'autres qui interviennent aussi à la radio et à la télévision pour donner leur point de vue. Maintenant, il faut dire aussi que la situation dans l’arrière-pays rend difficile la présence des partis politiques d'autant plus que 80% du territoire national sont occupés par les groupes armés. Donc il est difficile qu'il y ait des activités des partis dans les zones occupées. L'interpellation des évêques doit nous amener, nous leaders politiques, à devenir de plus en plus proactifs, c'est à nous maintenant de prendre nos responsabilités.
 
ACAP : Les évêques ont par ailleurs noté une absence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. A quoi l’attribuez-vous, en tant qu'acteur politique ?
 
NT : Nous avons toujours demandé le dialogue parce que le dialogue doit être permanent. Il doit être aussi inclusif. Mais le dialogue doit porter sur des sujets bien précis, dans un cadre précis, et il y a une personnalité qui est habilitée à demander ce dialogue là ou à le rendre effectif, c'est le président de la République. Donc nous, nous sommes disposés à dialoguer si le pouvoir voudrait bien dialoguer avec nous.
 
ACAP : Le pouvoir, justement, a organisé au mois de novembre dernier un petit-déjeuner de prière qui a donné lieu à un échange entre différents acteurs politiques. N’est-ce pas là une initiative pour faciliter le dialogue entre les acteurs politiques ?
 
NT : Cette rencontre n’était pas mauvaise si elle peut permettre d'ouvrir le chemin. Mais il faut qu’il y ait un ordre du jour avec des thèmes précis pour débattre des questions qui intéressent le pays, au-delà de cette rencontre à caractère religieux.
 
Au-delà, il faut poser les problèmes politiques de fond sur les questions sécuritaires et de gouvernance devant faire l'objet de débats entre les forces politiques et sociales du pays.
 
ACAP : Il se déroule en ce moment à Bangui, la 1ère session criminelle de l’année. En tant que ténor du barreau, que dites-vous du procès de Rodrigue Ngaïbona alias « général Andjilo » ?
 
NT : Le procès de Rodrigue Ngaïbona alias « général Andjilo » ouvre des perceptives, particulièrement pour la lutte contre l’impunité, mais en même temps il redore le blason de la justice centrafricaine.
 
L'instruction du dossier a été menée conformément aux règles procédurales, les droits de la défense ont été respectés, le Procureur aussi a fait son réquisitoire dans les règles, les parties civiles également, les avocats de la défense, chacun a joué son rôle. C'est à l’honneur de la justice centrafricaine.
 
Toutefois, J'exprime mes regrets concernant le comportement de certains avocats qui, au lieu de se concentrer sur les faits et la défense de leurs clients, ont passé leur temps à s'insulter à l'audience ou à parler de leur parcours professionnel. Il s'agit-là de graves manquements au devoir confraternité.
Je regrette l'absence du Bâtonnier ou des membres du Conseil de l'Ordre pour les rappeler à l'ordre. J'ose espérer que cela ne se reproduira plus pour les autres affaires.
 
ACAP : Des députés de votre parti politique, la CRPS, ont refusé de vous suivre lorsque vous avez refusé de vous ranger dans le camp de la majorité. Quelle est aujourd'hui la situation au sein de votre parti ?
 
NT : La décision ne venait pas de moi en ma qualité de président du parti mais du directoire politique du parti en date du 15 avril 2017. Cette décision a été rendue publique le 5 mai 2017. Dans tout parti politique, les députés s’alignent sur la position de la direction du parti. Maintenant que les députés ont décidé d’aller dans la majorité présidentielle, alors que le parti n’a aucun accord avec la majorité présidentielle, il faut qu’ils assument jusqu’au bout. Le directoire du parti ne s'est pas encore prononcé là-dessus, nous préférons garder le silence.
 
ACAP : Comment envisagez-vous les prochaines élections au sein de votre parti politique, en commençant par les municipales censées conduire à la mise en place du sénat ?
 
NT : Pour l’instant, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Nous ne savons pas si toutes les conditions sont remplies pour aller à des élections municipales, mais si ces conditions-là sont réunies, il est évident que la CRPS ne se dérobera pas face à ses responsabilités. Elle présentera des candidats.
 
ACAP : Quelles sont, selon vous, les conditions qui devraient être réunies pour aller aux élections ?
 
NT : Les élections impliquent beaucoup de dépenses. Avons-nous les financements pour les élections municipales ? Et ensuite, le problème d'insécurité. Donc, les questions financières et sécuritaires constituent les conditions sine qua non pour aller à des élections municipales crédibles.
 
ACAP : Qu'est ce qui, selon vous, explique aujourd’hui la recrudescence des violences dans les provinces ?
 
NT : Nous constatons que les groupes armées s'affrontent pour le contrôle des zones minières, c'est-à-dire, aujourd'hui, la nature du conflit est devenue économique. Les groupes armés se battent pour la prédation économique, s'accaparer des zones minières où ils exploitent frauduleusement et illicitement le diamant, l’or et les couloirs de transhumance pour le commerce du bétail.
 
A la suite d'une investigation, rien que les barrières rapportent presque 6 millions d'euros, soit l'équivalent de 4 milliards de francs CFA. Les populations civiles sont les premières victimes de cette prédation.
 
ACAP : Pour remédier à ces problèmes, il a été mis en place un programme de DDRR, mais les évêques ont estimé que ce programme ne va pas assez vite pour favoriser la résolution de la crise. Qu’en pensez-vous ?
 
NT : Le programme DDRR en Centrafrique risque d’être comme du plâtre sur une jambe de bois parce que ce ne sont pas tous les groupes armés qui ont adhéré au programme DDRR, il y a des groupes mieux organisés qui tirent profit de la prédation économique. Eux semblent ne pas adhérer à ce processus.
 
Par rapport à ceux-là, je pense qu'on ne peut pas prôner le dialogue. En l'absence de forces organisées structurées au service de l'Etat, ayant le monopole de la violence légale et légitime, la responsabilité d'imposer la sécurité, la paix dans le pays incombe à la MINUSCA. Cela découle même de son mandat placé sous le chapitre 7 de la Charte des Nations-unies. La MINUSCA devrait utiliser la force, le cas échéant. Elle l'a fait à Bambari et ensuite à Bocaranga, rien ne l’empêche de le faire dans certaines zones pour assurer la protection de la population.
 
ACAP : Quel est votre regard sur le coup d’État manqué en Guinée Équatoriale dans lequel il est dit que certains compatriotes centrafricains sont impliqués ?
 
NT : C'est un sujet très préoccupant. La Guinée-Équatoriale est un pays ami avec qui nous avons des relations diplomatiques et qui, pendant cette période de crise, a aidé et continue d'aider la République Centrafricaine. En tant que patriote et démocrate, je ne peux que condamner toute tentative de déstabilisation d’un pays membre de la CEMAC.
 
Une enquête est en cours et s'il est vraiment établi que des Centrafricains, à quelque niveau de responsabilité, sont impliqués dans cette tentative de déstabilisation d'un pays ami et frère, il faudrait en tirer toutes les conséquences judiciaires qui s'imposent.
 
ACAP : Quel est votre avis sur la récente déclaration controversée du président américain, Donald Trump ?
 
NT : Je pense qu'elle est choquante et tout africain ne peut qu’être blessé dans son amour-propre. C’est une déclaration condamnable. J'associe ma voix à toutes les condamnations, tous les sentiments de désapprobation, d'indignation vis-à-vis du comportement de M. Trump, qui n’honore pas sa fonction et qui n'honore pas la première puissance mondiale que sont les États-Unis d’Amérique.
 
En Afrique, il n’y a que trois pays qui ont condamné cette déclaration de façon ferme. Ce sont le Sénégal, le Botswana et l'Afrique du Sud. Je ne sais pas ce que le gouvernement centrafricain attend pour se prononcer sur une déclaration de cette nature, qui avilit l'ensemble des africains et des Noirs de la diaspora.
 
Je pense qu'il y a des situations où la dignité d'un homme ou d'un peuple exige qu'il pose des actes qui permettent de dire que, même si nous sommes pauvres, même si nous n'avons rien, la seule chose qui nous reste, c'est notre dignité.
 
ACAP : Maître Nicolas Tiangaye, merci !
 
 

Jeudi 25 Janvier 2018
Christian Singa/ACAP